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Page modifiée en juillet 2007
Une saline du Pays Blanc

Les chemins noirs du Pays Blanc

roman policier paru en mai 2007 aux éditions D'Orbestier 

dans la série Carbone

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    Ponts, ladures et mulons de sel, la sobre beauté géométrique d'une saline.

Résumé

Au bout du Chemin Noir, sur une saline désaffectée, le lieutenant de police Élisée Loudéac découvre un spectacle stupéfiant. Le nommé Lenoir, que tout le monde surnomme "le fou", s'adonnait à une bien étrange activité, au grand déplaisir des paludiers, et il a connu une mort non moins étrange. Accident ? Meurtre ?

Loudéac n'a aucune envie de mener une enquête, malgré les pressions d'un curieux journaliste, Ferdinand Pellegrin. En vacances au Pays Blanc, le pays du sel, il ne souhaite qu'une chose : qu'on le laisse en paix avec sa compagne, la très belle Alizée, dite Parenthèse.

Ce n'est que le début d'une incroyable affaire dans laquelle les haines et les amitiés s'entremêlent. Dans les étranges paysages paludéens du Pays Blanc, menacés par les appétits maffieux de promoteurs immobiliers, la folie meurtrière de sinistres individus se donne libre cours. Autour du manoir de Kergréac se tissent d'inquiétantes intrigues. Qui sont vraiment les étranges personnages qui y vivent ou qui le fréquentent, quels sont ceux qui guettent ses habitants ? Quels chemins noirs parcourent tous ces individus, et quels secrets dissimulent-ils ?

Et quelle décision Loudéac va-t-il devoir prendre lorsque, à sa manière particulière, il parviendra à débrouiller l'énigme ?

Entre Guérande, La Baule et Le Croisic, au cœur du marais salant, se joue une diabolique partie d'échecs. 

Un polar en noir et blanc dans lequel on retrouve les principaux personnages de Nantes, rue des Orties.

Extraits du texte

Au centre de l’atelier, un chevalet supportait une toile d’assez grande taille dissimulée sous un tissu. Sur une table traînait tout un matériel de peintre, tubes de couleurs, pinceaux rangés dans des pots. Ça sentait l’essence de térébenthine. Contre un des murs, des toiles retournées dont on ne voyait que le châssis s’alignaient.

Élisée s’en approcha et en retourna une. Là, il eut un choc. Il en regarda une deuxième, une troisième. Stupéfait, il alla plus loin et jeta un regard sur d’autres des œuvres en attente, des peintures qui n’avaient absolument rien de commun avec celles qu’on voyait en bas.

Des œuvres d’une tout autre qualité, témoignant d’une parfaite maîtrise de l’art, d’un métier évident et aussi d’une inspiration vraie, mais des œuvres d’un genre qui ne risquait pas de séduire la majorité des touristes de passage auxquels Ottavio Manfredi réservait sa production qu’on pouvait qualifier d’alimentaire.

Il y avait de quoi s’interroger, se dit Loudéac qui, sans être un grand connaisseur en matière d’art, était cependant parfaitement capable de faire la différence entre la bonne peinture et la mauvaise. Et là, c’est en présence de très bonne peinture qu’il se trouvait. De la production d’un artiste affirmé qui n’avait certainement pas besoin de se livrer à de médiocres travaux pour gagner son pain quotidien. De toiles que les plus grandes galeries auraient présentées sans déchoir. En laissant quelques-unes appuyées le dos contre le mur, Élisée fit quelques pas en arrière pour mieux les étudier dans leur ensemble.

Pas de couleurs criardes, ici, bien au contraire. Les tons dominants étaient bruns, sombres, avec, rarement, l’éclat d’une tache rouge qui n’apportait nullement une touche de gaieté. Au contraire, ces taches évoquaient des éclaboussures de sang, du moins est-ce ainsi que Loudéac le ressentait.

Les sujets étaient des paysages, là encore. Mais des paysages improbables, tourmentés, hostiles, impossibles à situer géographiquement, peut-être appartenant à d’autres mondes. Sous des ciels mêlant le rouge et le brun en longues bandes curvilignes, avec des traînées d’autres couleurs – jaune, vert – qui semblaient ne servir qu’à exacerber les contrastes, s’étendaient des plaines dont on n’aurait su dire si elles étaient solides ou liquides – terres ou mers, probablement un hybride des deux – d’une désespérante platitude, résolument hostiles à la vie. Mais pourtant peuplées, car la vie était présente, on ne le décelait pas tout de suite, sous la forme de lointaines silhouettes humaines qu’on sentait habitées de terreur, condamnées à une inévitable destruction, tentant par réflexe mais sans espoir aucun d’échapper à un destin inexorable et funeste. Une peinture d’un pessimisme absolu générant un malaise dont on ne pouvait se libérer facilement.

Étrange. Pire qu’étrange, se dit Loudéac.

L’inspiration d’Ottavio Manfredi était d’une morbidité peu commune, et elle avait en même temps quelque chose d’archaïque. On sentait dans ces toiles l’influence, la surprenante et tardive survivance de l’expressionnisme allemand, une tendance artistique abandonnée depuis un demi-siècle. Ce choix surprenait de la part d’un Italien.

Par certains côtés, cette peinture faisait penser, peut-être à cause de ces courbes de couleur marquant les deux éléments immuables de ces paysages, l’infini céleste et l’illimité terrestre ou marin, à certaines des œuvres du Norvégien Edvard Munch, et notamment à son tableau intitulé Le cri, volé en 2004 et retrouvé ensuite. Munch passait pour un précurseur de l’expressionnisme, et cette toile particulièrement, avec son personnage du premier plan enserrant sa tête entre ses deux mains et hurlant sa terreur, offrait une parenté certaine avec ce que Loudéac contemplait. Comme Munch, Manfredi trahissait une sensibilité fragile, obsessionnelle, morbide. Ce que rien dans l’apparence de l’homme, pour autant qu’Élisée avait pu en juger, ne laissait soupçonner.

Élisée s’arracha enfin à sa contemplation fascinée. Manfredi risquait de revenir à tout moment et de le surprendre, et alors que dirait-il pour justifier son indiscrétion ? Le peintre risquait de ne pas goûter cette intrusion dans un atelier où il ne devait pas souhaiter qu’on vienne fouiller. Loudéac remit les toiles dans la position où il les avait trouvées, face contre le mur, et s’apprêta à redescendre.

Ce faisant, il passa près du chevalet sur lequel, cachée sous un tissu, devait se trouver une toile en cours d’exécution. Il ne put résister, et ôta le voile.

Le choc que provoqua en lui la vue du tableau le fit reculer, tout comme si on venait de le frapper physiquement. L’étrangeté des autres toiles ne l’avait pas préparé à la violence de celle-ci. Si les paysages impressionnaient, mettaient mal à l’aise, inspiraient un sentiment diffus de crainte et même d’effroi, ce n’était rien comparé à ce que suscitait la toile maintenant dévoilée.

Un portrait. Le portrait d’une très belle femme.

Mais un portrait qui reviendrait hanter ses cauchemars, Élisée le savait déjà.

Il resta comme paralysé tout un temps. Puis un sentiment d’urgence le saisit ; il fallait qu’il quitte cet atelier au plus vite. Qu’on ne sache pas qu’il s’y était introduit. Avec une hâte maladroite, il s’efforça de remettre la pièce d’étoffe sur la toile aussi exactement qu’elle était auparavant, puis il se jeta littéralement dans l’escalier qu’il faillit bien descendre plus vite que voulu, et pas sur ses jambes. Il réussit à rétablir son équilibre et arriva au rez-de-chaussée à l’instant même où Manfredi pesait de la main sur la poignée de la porte.

(Extrait du chapitre 6)

Claudiquant et sacrant tout ce qu’il savait, l’homme sortit du moulin non sans s’assurer que sa cible ne s’apprêtait pas à lui tirer dessus à son tour. Eichner n’imaginait pas que le policier était désarmé. Tout de suite, il vit son fusil qui s’était planté canon en avant dans une surface de terre meuble. C’était le bouquet ! Son arme était inutilisable !

Il porta la main à l’étui de cuir suspendu à son épaule et en sortit son autre fidèle compagnon, un pistolet Glock 26 à canon court, plus maniable, moins encombrant que le fusil, mais aussi beaucoup moins précis.

Plus bas, Élisée prenait conscience avec désespoir de leur position exposée. Le mince repli de terrain qui les abritait ne leur assurerait plus aucune protection dès que le tueur s’approcherait. Affolé, il regarda tout autour de lui et repéra un possible chemin de fuite par la gauche, mais bien imparfait. Plus loin, des rochers offriraient un meilleur abri, mais encore fallait-il les atteindre. Il chuchota à Alizée :

– Il faut filer ! Sur la gauche ! Avance dans cette direction en restant le plus possible baissée ! Je te suis !

Parenthèse, qui gardait son calme, ce qui était précieux dans les circonstances, obtempéra sans discuter, et sans se douter que Loudéac n’avait nulle intention de la suivre. Pour lui, l’essentiel était que Parenthèse s’en sorte. Il allait créer une diversion, tenter d’éloigner le tueur de la jeune fille en l’entraînant à l’opposé.

C’était une option désespérée, mais il n’en existait nulle autre. Se redressant, Élisée courut vers la droite, plongeant au sol juste à temps pour esquiver, par miracle, la balle qui traça un sillon sur le plat d’un rocher, à quelques centimètres de sa tête, avant de ricocher. En s’affalant, Loudéac roula sur le sol en pente et dévala sur plusieurs mètres avant de s’immobiliser dans un creux providentiel qui lui accorderait un bref répit.

Et après ? Alizée réussirait-elle à s’éloigner suffisamment ? Il craignait par-dessus tout qu’elle ne décide de l’attendre en s’apercevant qu’il ne la suivait pas. Alors, ils seraient deux à mourir. Ce n’était pas ainsi que Loudéac avait envisagé leur avenir.

En cet instant où l’ombre de la mort planait sur eux, il prenait conscience du fait que, par sa seule existence, à cause du métier qui était le sien, la vie de la femme qu’il aimait allait s’achever sans qu’il sache pourquoi. Et il avait fallu que ce matin il l’entraîne dans ce guêpier, alors qu’en observant, cette nuit, le point rouge d’une cigarette, il s’était douté que quelqu’un, probablement depuis les ruines du moulin, exerçait une surveillance sur le manoir ! Comment avait-il pu ne pas imaginer que le même guetteur serait encore là pendant le jour ? Alors que le samedi matin il avait aperçu, provenant de la même direction, un éclat de lumière d’un autre genre, probablement un reflet sur des verres de jumelles !

Un désespoir total écrasa Élisée au sol. Il n’avait même plus le réflexe de tenter de s’éloigner encore du tueur inconnu qui devait progresser vers lui, sûr de son coup.

(Extrait du chapitre 11)  


 
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